Est un contrat administratif le marché qui sera conclu par une personne publique membre d'un groupement de commandes constitué entre des acheteurs publics et des acheteurs privés en vue de passer chacun un ou plusieurs marchés publics et confiant à l'un d'entre eux le soin de conduire la procédure de passation, sans préjudice de la compétence du juge judiciaire pour connaître des litiges postérieurs à la conclusion de ceux de ces contrats qui revêtent un caractère de droit privé
Un groupement de commandes a été formé entre la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP), établissement public industriel et commercial, et SNCF Mobilités, établissement public industriel et commercial auquel a succédé le 1er janvier 2020 la société SNCF Voyageurs qui a le statut de société anonyme. Agissant en qualité de coordonnateur du groupement de commandes, la RATP a lancé, par un avis d’appel public à la concurrence publié le 26 juin 2018, une procédure négociée avec mise en concurrence préalable en vue de la passation d’un accord-cadre à bons de commande relatif à l’étude et à la fourniture de matériels roulants à destination de la ligne B du RER. La société Alstom Transport, qui a soumissionné à l’attribution de ce contrat, a été invitée à participer aux négociations et a remis une offre finale le 22 juin 2019. Elle a ensuite assigné la RATP et la SNCF Voyageurs en référé précontractuel devant le président du tribunal judiciaire de Paris qui a écarté l’exception d’incompétence opposée par les défenderesses au profit du juge administratif et a adressé au groupement de commandes, s'il entendait poursuivre la procédure de passation, des injonctions relatives à la méthode d'analyse des offres et à l'information des candidats. Saisie d’un pourvoi de la RATP, la Cour de cassation, qui a estimé que le litige soulevait une difficulté sérieuse sur la question de l’ordre juridictionnel compétent, a saisi le Tribunal des conflits sur le fondement de l’article 35 du décret du 27 février 2015.
Le Tribunal des conflits(1) rappelle, d’abord, que "la passation et l’attribution des contrats passés en application du code de la commande publique sont susceptibles de donner lieu à une procédure de référé précontractuel qui, selon que le contrat revêtira un caractère administratif ou privé, doit être intentée devant le juge administratif ou devant le juge judiciaire".
Ainsi et comme le Tribunal des conflits l’a déjà jugé dans un arrêt récent(2), il appartient au juge du référé précontractuel saisi de déterminer si, eu égard à la nature du contrat en cause, il l’a été à bon droit. C’est donc la nature du contrat qui a vocation à être conclu à l’issue de la procédure de passation qui va déterminer l’ordre juridictionnel compétent pour connaître de la légalité de cette procédure.
Ensuite, le Tribunal des conflits relève qu’aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics alors applicable et aujourd’hui codifié à l’article L. 6 du code de la commande publique, les marchés passés par des personnes morales de droit public en application du code de la commande publique sont des contrats administratifs par détermination de la loi. Cette qualification législative s’appuie ainsi sur un critère organique, à savoir la passation du marché par une personne publique, ce qui fut le cas en l’espèce d’un marché passé par la RATP.
Le Tribunal des conflits juge, en conséquence, que : "Dans le cadre d'un groupement de commandes constitué entre des acheteurs publics et des acheteurs privés en vue de passer chacun un ou plusieurs marchés publics et confiant à l'un d'entre eux le soin de conduire la procédure de passation, et où, l'un des acheteurs membres du groupement étant une personne publique, le marché qu'il est susceptible de conclure sera un contrat administratif par application de l'article 3 de l'ordonnance du 23 juillet 2015, le juge du référé précontractuel compétent pour connaître de la procédure est le juge administratif, sans préjudice de la compétence du juge judiciaire pour connaître des litiges postérieurs à la conclusion de ceux de ces contrats qui revêtent un caractère de droit privé".
Il en résulte en l’espèce que les procédures de passation menées par la RATP en qualité de coordonnateur d’un groupement de commandes sont susceptibles de conduire à la conclusion de contrats qui peuvent être, selon les personnes contractantes, de droit privé ou de droit administratif. En effet, le Tribunal des conflits rappelle les dispositions de l’article 28 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 qui prévoit qu’un groupement de commande peut être constitué en vue de "passer conjointement un ou plusieurs marchés publics".
Le Tribunal des conflits en déduit que si, à l’issue de la procédure de passation menée par le groupement constitué à la fois d’acheteurs publics et privés, un marché public est passé par une personne publique, ce contrat devra alors être qualifié, par détermination de la loi, de contrat administratif et, par suite, que le juge du référé précontractuel compétent pour connaître de la légalité de la procédure de passation est le juge administratif.
Dès lors, en l’espèce, les marchés publics que la RATP, personne morale de droit public, est susceptible de conclure sont des contrats administratifs, de sorte que le juge du référé précontractuel compétent pour connaître de la procédure de passation de ce contrat est le juge administratif.
La solution de cet arrêt doit être comparée avec celle dégagée par le Tribunal des conflits dans son arrêt précité du 13 septembre 2021. Dans cette dernière affaire, était en cause un contrat particulier conclu par plusieurs entités publiques et privées. Ce contrat a été qualifié par le Tribunal des conflits de contrat administratif par détermination de la loi dès lors qu’il répond "majoritairement" aux besoins de la SNCF Réseau, société anonyme, et que les contrats passés par cette dernière pour l’exercice de ses missions prévues à l’article L. 2111-9 du code des transports sont des contrats administratifs en application de l’article L. 2111-9-4 du même code.
Le Tribunal des conflits précise néanmoins, dans l’arrêt du 10 janvier 2022, que la compétence du juge administratif pour connaître de la légalité de la procédure de passation d’un contrat administratif conclu par une personne publique dans le cadre d’un groupement de commandes composé d’acheteurs publics et privés est reconnue "sans préjudice de la compétence du juge judiciaire pour connaître des litiges postérieurs à la conclusion de ceux de ces contrats qui revêtent un caractère de droit privé".
Il s’agit ici d’un simple rappel des règles de répartition des compétences entre les ordres juridictionnels judiciaires et administratifs qui doit être lu à la lumière du premier considérant de principe de l’arrêt commenté selon lequel l’ordre de juridiction compétent pour juger de la légalité de la procédure de passation dépend de la nature du contrat qui sera conclu. Ainsi, les contrats de droit privé conclus au terme d’une procédure de passation menée dans le cadre d’un groupement de commandes comprenant des acheteurs publics et privés relèveront de la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître tant de leur validité que des contentieux relatifs à leur exécution et aux conséquences indemnitaires qui pourraient en résulter.
(1) Tribunal des Conflits, 10 janvier 2022, Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP), n° C4230
(2) Tribunal des Conflits, 13 septembre 2021, Société Cadres en mission c/ Société SNCF, n° C4224
source : lettre DAJ n° 332
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"Comme pertinemment indiqué par mon vieux pote Mad Max (le lapin rouge, le 25 octobre 2021, mais comme dirait Obélix, je ne suis pas vieux !)