Dans un arrêt du 27 mars, le Conseil d’Etat utilise le régime de la garantie des vices cachés pour engager la responsabilité d’une société dans le cadre de l’exécution d’un marché public. En l’espèce, se posait la question de l’utilisation des articles 1641 et suivants du code civil pour réparer les préjudices nés de l’exécution d’un marché public.
Dans sa décision du 27 mars 2017, le Conseil d’Etat a reconnu la possibilité pour une collectivité d’engager la responsabilité d’une société titulaire d’un marché public sur le terrain de la garantie des vices cachés (article 1641 du code civil). Dans les faits, la commune de Pointe-à-Pitre a conclu avec la société Sodimat un marché de fournitures et de services pour l’achat d’une balayeuse. Suite à de nombreuses pannes, la commune a restitué la balayeuse défectueuse à la société. La collectivité a également saisi le juge du tribunal administratif (TA) de Basse-Terre d’une demande tendant à la condamnation de la société Sodimat au versement de dommages et intérêts au titre du préjudice subi. Elle a basé sa demande sur le fondement des articles 1641 et 1648 du code civil. Si le TA a rejeté sa demande, la cour administrative d’appel (CAA) de Bordeaux a condamné la société Sodimat à verser à la collectivité 96.682 euros au titre du remboursement de la balayeuse défaillante et 100.000 euros au titre de dommages et intérêts, sur le fondement de la garantie des vices cachés. La société Sodimat a alors saisi la haute juridiction administrative d’un pourvoi en cassation contre ce jugement.
L’article 1641 du code civil : une garantie supplémentaire pour les acheteurs publics
L’article 1641 du code civil dispose que "le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus". Si son application aux contrats privés ne faisait aucun doute, le Conseil d’Etat confirme ici à l’acheteur public, la possibilité de faire valoir la garantie des vices cachés pour réparer le préjudice né de l’exécution d’un marché public. En basant son jugement sur les articles 1641 et suivants du code civil, la CAA a reconnu à la commune de Pointe-à-Pitre le droit de demander la réparation de son préjudice sur le fondement de la garantie des vices cachés. Le Conseil d’Etat confirme cette position. L’article. 23.2 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de fournitures courantes et de services (CCAG) offre une garantie similaire. Il dispose qu’"Au titre de cette garantie, le titulaire s’oblige à remettre en état ou à remplacer à ses frais la partie de la prestation qui serait reconnue défectueuse...[...] La personne publique a droit en outre, à des dommages et intérêts au cas où, pendant la remise en état, la privation de jouissance entraine pour elle un préjudice". Toutefois, la CAA a principalement fondé son jugement sur la garantie des vices cachés prévue par le code civil.
Application du régime de de la prescription civile
L’utilisation de l’article 1641 du code civil dans le cadre d’un jugement soumet le règlement du litige à l’ensemble du régime de la garantie des vices cachés. De ce fait, l’article 1648 du code civil s’applique au présent litige. Il dispose que l’action résultant des vices rédhibitoires est prescrite après un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. En l’espèce, au moment de la remise de la balayeuse à la société le 4 octobre 2007, la collectivité n’avait pas connaissance de l’étendue des vices. Elle n’a été informée de l’ampleur des vices que le 30 juillet 2009, suite à la remise d’un rapport d’expertise. Le délai de saisine prévu à l’article 1648 ne courant qu’ "à compter de la découverte par l’acheteur de l’existence du vice, de son étendue et de sa gravité", la saisine du TA était donc recevable. Elle est en effet intervenue le 11 janvier 2010, soit moins de deux ans après la découverte de l’étendue des vices.
Attention au calcul de la période préjudiciable
Si le Conseil d’Etat a reconnu l’utilisation du régime de la garantie des vices dans le cadre de l’exécution d’un marché public, il a toutefois annulé le jugement de la CAA. En l’occurrence, la CAA a indemnisé la collectivité à hauteur de 100.000 euros, pour le préjudice subi sur une période allant du 10 mai 2006 au 4 octobre 2007. Or la balayeuse n’a été livrée que le 31 août 2006. En jugeant ainsi la CAA "a entaché son arrêt de contradiction de motifs", car la responsabilité de la société Sodimat ne pouvait être engagée "pour une période antérieure à la livraison du matériel".
Conseil d'Etat, n° 395442
source : lettre Localtis du 11 avril 2017
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