Dans un arrêt du 2 décembre 2014, les juges d'appel se sont penchés sur la distinction existant entre la suspension des prestations contractuelles et la résiliation du marché pour motif d'intérêt général et les conséquences en termes d'indemnisation pour la société titulaire.
Dans les faits, le centre hospitalier (CH) de Cadillac avait conclu avec une entreprise un marché de services dont l'objet était l'exécution d'une mission de conduite de la construction d'une unité hospitalière spécialement aménagée. Le 6 octobre 2009, le directeur du CH a décidé d'arrêter l'exécution des prestations "pour le motif d'intérêt général tiré de ce que des observations sur la régularité du marché avaient été formulées par les autorités de contrôle". En contestation de cette décision et en vue du versement d'indemnités en réparation du préjudice subi, l'entreprise a alors saisi le tribunal administratif (TA) de Bordeaux, le 20 janvier 2010, soit deux mois après l'expiration du délai imparti pour ce recours. Par un jugement du 18 décembre 2012, le TA a pourtant annulé la décision contestée et rejeté les conclusions indemnitaires de l'entreprise. Le CH interjette appel du jugement en vue d'obtenir son annulation ainsi que le rejet de la demande d'indemnisation réclamée par la société.
L'expiration du délai de recours contentieux permettait-elle à la société titulaire du marché de demander l'annulation de l'arrêt de l'exécution des prestations du marché pour motif d'intérêt général ainsi que le versement d'indemnités en réparation du préjudice subi du fait de cette décision ? Telle était la question à laquelle la cour administrative d'appel devait répondre.
Oui à l'indemnisation du préjudice subi et non à la contestation de validité de la décision
Selon les juges d'appel, hors du délai de recours contentieux, le titulaire d'un marché dont les prestations ont été arrêtées pour motif d'intérêt général et sans faute de sa part est en droit de réclamer le versement d'une indemnisation en réparation du préjudice subi du fait de cette décision mais ne peut pas en contester la validité.
Le délai de recours contentieux ayant expiré, la requête tendant à l'annulation de la décision du directeur du CH ne pouvait être accueillie favorablement au risque de rompre le principe de sécurité juridique. Toutefois, la Cour précise également que "l'expiration du délai est sans incidence sur la recevabilité des conclusions à fin d'indemnisation", de sorte que le centre hospitalier n'est pas fondé à réclamer l'annulation du jugement attaqué dans son ensemble.
La Cour a tout d'abord exclu l'application des dispositions de l'article 8-1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) ayant permis au centre hospitalier de fonder sa décision d'arrêter l'exécution des prestations sans que cela ne donne lieu au versement d'indemnités. Selon ces dispositions, c'est uniquement "au terme de chacune des phases techniques" que pouvait être prise la décision en cause, or cela n'a pas été le cas puisque l'une des phases était toujours en cours d'exécution.
Une résiliation pour motif d'intérêt général et non un arrêt d'exécution des prestations du marché
Par ailleurs, cette erreur dans la mise en œuvre de ces dispositions ne signifie pas pour autant que la décision prise par la personne publique ne pouvait trouver de justification. En effet, le motif d'intérêt général évoqué, à savoir la non-conformité aux règles du droit des marchés publics, ne permettait pas la poursuite de l'exécution du marché et justifiait sa résiliation. Les juges d'appel ont donc considéré que la décision du directeur du CH présentait "le caractère non d'une décision d'arrêt d'exécution mais d'une résiliation du contrat (…) pour un motif d'intérêt général", permettant ainsi à la société titulaire, non fautive, de demander le versement d'une indemnisation en réparation du préjudice subi, conformément aux règles générales applicables aux contrats administratifs.
Le jugement est partiellement annulé en ce sens que l'entreprise, hors délai de recours contentieux, est seulement fondée à demander le versement d'une indemnité et non à contester la validité de la décision de résiliation. Cependant, il est possible d'envisager que la décision, au final, aurait été identique même si la demande de la société requérante était intervenue au cours du délai imparti, étant donné que le motif d'intérêt général évoqué dans cette affaire était d'une gravité telle que les relations contractuelles ne pouvaient se poursuivre, ce qui justifiait donc de plein droit une résiliation à l'initiative du pouvoir adjudicateur. Le Conseil d'Etat aura probablement l'occasion de se prononcer sur les éléments de cette affaire si l'une des parties décide de se pourvoir en cassation…
CAA de Bordeaux, 2 décembre 2014, n° 13BX00505
source : lettre Localtis du 7 janvier 2015
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